Théophile Legrand : une vie dédiée à l'Innovation Textile !
Théophile Legrand : Père de l’Industrie Lainière (1799 – 1877)
Théophile Legrand est considéré par les historiens nordistes comme étant le « Père de l’industrie lainière », et le « Père de la ville Fourmies ». La personnalité hors du commun de ce capitaine d’industrie ne peut laisser personne indifférent. Sous son impulsion, la ville de Fourmies va devenir dès 1870 le premier centre mondial de laine peignée.
Louis Théophile Legrand est né à Fourmies le 8 mars 1799. Il descend d’une ancienne famille fourmisienne qui dès le XVIIIème siècle fabriquait le fil à dentelle. Le cousin de son grand-père, Nicolas Legrand, disputa aux Hollandais le monopole de la fabrication du fil de dentelle. Il établit à Fourmies en 1774 « une manufacture de fils retords et blanchis à la façon de Hollande ».
Ses années de jeunesse sont douloureuses. En 1806, à l’âge de 7 ans, il perd sa mère. Un an plus tard, il voit disparaître son petit frère d’un an et l’année suivante sa petite sœur de 4 ans. Il se retrouve ainsi seul avec son père. Ses années d’adolescence de 1814 à 1818 sont marquées quant à elles par l’occupation de la ville par les troupes russes, avec son cortège d’humiliations et de réquisitions. A cette époque, après avoir fréquenté le Collège d’Avesnes, il suit des études classiques au collège de Cambrai, établissement régi par un cadre religieux très strict qui devait du reste orienter sa vie future. Au sortir de ses études, il devient le collaborateur de son père, Louis-Joseph Legrand, qui en 1810 avait fondé à Fourmies un retordage de fils spéciaux adossé à une filature de coton. Le 11 novembre 1819, à l’âge de vingt ans, il épouse au Puy en Velay Hélène Joséphine Labilherie, dont il aura six enfants. Durant 5 ans, il prend la tête de la maison de commerce de son beau-père, décédé un an plus tôt.
Une épopée industrielle
Six mois après son retour du Puy en Velay, il fonde en avril 1825, la première filature de laine à Fourmies, concrétisant ainsi son projet de substituer à l’industrie du coton celle de la laine peignée. Trois mois plus tard, il équipe son usine de « pompes à feu », nom savant pour désigner les premières machines à vapeur.
Les débuts sont difficiles car cette nouvelle industrie est peu connue. Seuls deux autres établissements lainiers existent alors en France : l’un à Le Cateau et le second à Bazancourt près de Reims. Pas de machines, pas de techniciens, pas d’ingénieurs. Tout reste à faire. Seules la ténacité et la persévérance alliées à une bonne dose de génie auront raison des difficultés. Se tenant en permanence au courant des progrès techniques, Théophile Legrand améliore sans cesse les procédés industriels.
Une vie dévouée à l’innovation !
Théophile Legrand porte ensuite ses efforts sur le peignage mécanique afin de remplacer le peignage à la main. Après diverses tentatives, sa préférence se porte sur la peigneuse Heilmann à laquelle il apporte des perfectionnements judicieux. C’est cette machine qui fournit le peigné avec lequel fut réalisée la fameuse levée de trame 240, envoyée à l’Exposition Universelle de Paris de 1855. Il recevra pour cette création, perçue comme un véritable tour de force, une médaille de Première Classe ainsi que la reconnaissance de la profession. Il aura sous ses ordres jusqu’à 1700 ouvriers.
En 1863, il cède à ses fils la gestion de ses établissements de Fourmies. Alors que tout l’invite au repos, la nostalgie des affaires le reprend. Son ardeur vaillante reste intacte et il transforme alors le petit tissage à main de Glageon en une magnifique filature, à laquelle il adjoint un tissage mécanique important. On disait de lui dans la région « qu’il n’avait jamais passé une année sans placer des briques » !
Une personnalité appréciée et respectée
En 1848, il est nommé commandant de la Garde Nationale et on le voit intercéder durant les troubles de « l’Affaire des farines ». Quoique peu mêlé à la politique, Théophile Legrand est plusieurs fois investi de fonctions publiques. En 1838, il est élu Conseiller d’Arrondissement, tâche qu’il assumera durant dix ans. De 1848 à 1852, il est nommé Conseiller Général du Nord, fonction au cours de laquelle il s’attache à sortir quelque peu Fourmies de son enclavement, en prenant à bras le corps les dossiers des chemins vicinaux.
Succédant à son père, il est élu Conseiller Municipal en 1843 jusqu’à sa mort. Bien qu’élu en tête à chaque élection, il ne briguera jamais la place de maire. Il laissera cette fonction à ses cousins Pierre Joseph et César Auguste Legrand.
Fourmies lui doit beaucoup !
Soixante ans du travail opiniâtre d’un homme éclairé, faisant fi des périls, des angoisses, des jours sans repos et des nuits sans sommeil, feront du village de Fourmies, qu’il aimait tant, la future capitale mondiale de la laine fine peignée filée. Nichée dans une région verdoyante inconnue, perdue aux confins du Nord, de la Belgique et des Ardennes, sans routes praticables, sans canal ni rivières, bref dépourvue des atouts indispensables à tout développement économique, Fourmies va connaître son heure de gloire en développant la production du fil de laine le plus fin au monde. En moins de 60 ans, la cité va ainsi passer de 2000 à plus de 15 000 habitants.
Un entrepreneur à la pointe du progrès social
Toujours à la pointe du progrès pour maintenir ses usines à l’avant-garde, il n’est pas non plus en reste dans le domaine social. En 1858, il décide de créer pour ses ouvriers une société de Secours Mutuel. Mais son initiative dérange les desseins du régime en place, au point qu’une lettre du Sous-préfet lui demande de surseoir instamment à son projet. Théophile Legrand occupait une place à part, que ce soit parmi ses collègues ou dans le jeu social. Aussi était-il souvent choisi dans les différends qui pouvaient apparaître. Son honnêteté intellectuelle, sa grande expérience, son respect aplanissaient les difficultés sans appel.
Cette personnalité remarquable ne pouvait laisser indifférentes les autorités. C’est ainsi qu’il reçut la médaille de Chevalier de la Légion d’Honneur des mains même de l’Empereur Napoléon III, en juillet 1867 à Lille, lors des journées commémoratives du rattachement de la Flandre à la France. Cette récompense salue à la fois l’industriel éclairé et infatigable, autant que l’homme généreux qui participe à la mutation de sa ville. Fourmies doit en partie à sa munificence, la création de l’école laïque Mogador, celle de l’école libre de Frères, tout comme la construction de l’église St Pierre, sans oublier la Société de Charité. Il s’éteint le 31 mai 1877 en léguant pour les pauvres une rente perpétuelle sur l’État.
Sa mort est un deuil public et ses funérailles donnent lieu à une imposante manifestation d’estime et de sympathie. Dans toute la région, ce n’est qu’un concert de louanges pour rappeler les qualités et les vertus du défunt. Cet homme de biens, qui fut le collaborateur attentif des manufacturiers de son temps comme celui des ouvriers, devait avoir quelque chose de rare pour que « Le Journal de Fourmies » lui accorde le surnom autrefois donné à Louis XII, celui de « Père du peuple »…
D’après les recherches effectuées par Jean-Louis Chappat, auteur de la biographie sur Théophile Legrand