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Blog du Prix International de l'Innovation textile et de la Fondation Théophile Legrand - Fondation de France
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13 octobre 2013

Intervention de Jean-Louis Chappat, biographe de Théophile Legrand, le 5 octobre 2013 au ValJoly, pour le Prix Théophile Legrand

« Théophile Legrand : l’histoire d’une réussite » par Jean-Louis Chappat

Jean-Louis Chappat - TL

            Depuis le début de cette aventure extraordinaire qui m’a conduit aux quatre coins de la France afin de reconstituer la vie du fondateur de l’industrie lainière, à Fourmies, j’ai souvent eu l’impression que ce dernier n’avait pas vraiment souhaité laisser de traces franchement apparentes de son passage ici bas, compliquant ainsi, bien évidemment, la tâche de l’historien, surtout en termes de temps, puisque mon travail s’identifie souvent à celui d’un orfèvre, consistant à rassembler, tel un puzzle, des bribes d’événements ou de personnages.

 Il est vrai, je vous l’accorde, l’enfantement de cet ouvrage, s’apparente plus à la gestation de l’éléphante qu’à celle de la souris, mais il en est ainsi de tous les travaux historiques d’envergure et la minutie requise est aussi, il faut le savoir, source de sérieux et de succès. Cependant, je vous rassure, le bébé se porte bien et grossit raisonnablement. Il pourrait croître plus rapidement si mon métier me laissait plus de temps et surtout si les recherches iconographiques pouvaient être prises en main. Ces dernières sont pour l’instant dans une impasse, il serait bien d’aller voir du côté de Reims et des descendants des familles Dauphinot et Charbonneau. Je lance à nouveau un appel à la famille de Christian Cambier pour qu’elle se saisisse en partie de ces démarches afin d’éviter à ce colossal travail de recherches d’être amputé d’une dimension déterminante et surtout, de permettre à l’accouchement de rester programmé, comme prévu, pour la fin de l’an prochain.

 Jean-Louis Chappat 2

            Quant aux archives en elles-mêmes, elles continuent de s’étoffer un peu plus, au gré des indispensables recherches complémentaires. Les 65 000 documents, classés et répertoriés, se réjouissent à l’avance de pouvoir un jour rejoindre les travées de la fondation Théophile Legrand. Ils s’impatientent surtout de pouvoir être entreposées dans une des salles d’un merveilleux château, par exemple.  Côté anecdotique, enfin, je vous dirai simplement que j’ai retrouvé les traces de l’artiste qui a sculpté le buste du monument Théophile Legrand et qui fut inauguré, en juillet 1899, sur la Place Verte de Fourmies. L’histoire de cette stèle constitue du reste, à elle seule, une véritable histoire dans l’histoire, tant son existence fut mouvementée. Nous aurons l’occasion d’en reparler. Bref, revenons à l’essentiel.

             Reconstituer la biographie d’un capitaine d’industrie associe par nature trois domaines d’intervention : celui qui concerne sa vie privée, celui qui relate l’histoire de son entreprise et enfin celui qui a trait à sa vie publique. La complémentarité de ces trois approches a été depuis longtemps mise en évidence et explique la difficulté du travail d’investigation du biographe. Dans aucun autre milieu social, l’interaction entre le privé, le professionnel et le public ne parvient un tel niveau d’intensité. Cette conception prosopographique de l’histoire nous plonge au cœur même de la société française du XIXe siècle. Et de ce point de vue, le regard est prodigieux. On ne perçoit pas mieux les choses, on les perçoit en fait autrement, à la mesure de la vie humaine et de la marche des affaires, à l’échelle des projets et des innovations, quelle que soit la période concernée. Il en est donc ainsi de Théophile Legrand lorsqu’il poursuit son expansion industrielle grâce à des investissements énormes et constants.

JL Chappat 2

C’est notamment le cas, en 1836, sous la Monarchie de Juillet. Mais il convient de bien identifier ce qui les sous-tend. S’il importe de s’approprier une main d’œuvre environnante abondante, il s’agit aussi avant tout de pouvoir disposer des meilleures réserves d’eau de la région. Pour répondre à la demande grandissante de laines peignées fines, Théophile Legrand est contraint de développer les activités de peignage. Celles-ci se font à la main jusqu’en 1841 et sont dévoreuses de grande quantité d’eau. Fourmies n’offrant guère de possibilité d’expansion, faute de place mais surtout en raison de faibles ressources hydrographiques, l’implantation de ces nouveaux ateliers de peignage amorce ainsi la première extension territoriale des ateliers de fabrication. C’est dans le village pittoresque de Liessies, situé au cœur d’une région verdoyante et vallonnée, appelée la Petite Suisse du Nord, paré des vestiges d’une abbaye plus que florissante en son temps, que Louis-Joseph et Théophile Legrand jettent leur dévolu pour baser cette unité complémentaire de production de laine peignée.

 Le père et le fils connaissent parfaitement bien les lieux et son panorama splendide, puisqu’ils y engraissent annuellement des bœufs. L’eau de source la plus pure y coule à flots. Des collines avoisinantes, couvertes de bois touffus, une multitude de ruisseaux fougueux dévalent vers la vallée et se jettent dans l’Helpe Majeure. Dans le contexte du développement industriel de l’époque, il est clair que l’endroit paraît stratégique et que l’enjeu de l’eau ne peut qu’aviver les appétits.

JL Chappat 1

Le 6 septembre 1836, Israël-Elie Bonjour, négociant à Paris et filateur de laine peignée à Ribemont, près de Guise, sollicite auprès du directeur des douanes de Valenciennes, l’autorisation d’établir, dans l’enceinte de l’ancienne abbaye de Liessies, un atelier pour le peignage des laines. Il explique qu’il est « quelquefois forcé d’interrompre les travaux de cette filature, ou du moins d’en diminuer l’intensité, (…), parce que dans Ribemont et les endroits environnants, il ne se trouve pas en quantité suffisante d’ouvriers peigneurs pour l’alimenter ». Le 30, c’est au tour du Sieur Bernard Nicolas, de Sains-du-Nord,  de déposer une requête identique afin d’ouvrir « un atelier où il pourrait dégraisser par le savonnage et faire peigner environ trois mille kilogrammes de laine de mérinos par année ». C’est probablement parce qu’il a eu vent de ces tractations en cours que, fin septembre 1836, Théophile Legrand achète avec son cousin Louis-Pierre-Ange, une bâtisse à Liessies, afin de l’aménager à usage de peignage. L’acte notarié passé devant Me Clavon, le 29 septembre, dont les registres du bureau de l’enregistrement de Trélon portent trace, nous révèle que Théophile Legrand et Louis-Pierre-Ange Legrand sont acquéreurs, « le premier pour trois quarts et le second pour le dernier quart, d’une maison composée de trois places et une étable, avec environ vingt-huit ares de jardin et pâture ».

 En cette fin d’année 1836, c’est dans ce programme tout neuf que Théophile Legrand va s’insérer, renouant avec la fougue créatrice de ses débuts. Or, étrangement, c’est à la plume alerte et concise de son père Louis-Joseph que l’on doit la rédaction en bonne et due forme de la demande d’agrément. Nous disposons de peu de témoignages illustrant les efforts communs déployés par le père et le fils au service de la grande aventure lainière, pour qu’on prenne le temps de s’y concentrer.

 Jean-Louis Chappat

Le texte de cette lettre adressée au Préfet du Nord, en date du 18 novembre 1836, vaut la peine d’être amplement cité dans la mesure où il renseigne clairement sur une phase inédite de l’essor industriel. Pour explicite qu’il soit pour tout ce qui concerne les activités commerciales, Louis-Joseph l’est peut-être plus encore sur tout ce qui a trait aux aspects administratifs. « Nous avons établi, assure-t-il, dans cette commune [de Fourmies], (…), une filature de laines peignées et cardées. Cet établissement qui  ne comptait alors que 2304 broches, a acquis depuis un tel accroissement que notre peignage et dégraissage de laines ne suffit plus à nos besoins. Nous avons le projet de former dans une commune voisine, Liessies, un autre peignage et dégraissage de laines, tels que ceux qui y existent déjà pour les fabriques de Ribemont et du Cateau. Comme nous ne pouvons les établir, sans y être préalablement autorisés, nous avons l’honneur de vous demander, Monsieur le Préfet, toute autorisation nécessaire. »

 Si la réponse du directeur des douanes de Valenciennes se fait quelque peu attendre, elle n’en demeure pas moins positive. Transmise à la préfecture, le 27 décembre, elle comporte, comme à l’accoutumée, quelques obligations incontournables. Ces prérogatives d’une époque qui se trouvait alors, à cent mille lieues, d’une Europe sans frontières, ont tout lieu de surprendre ! : « Mon administration, écrit le fonctionnaire, me charge de vous faire connaître qu’il n’y a aucun inconvénient en ce qui concerne le service des douanes, à ce que la demande dont il s’agit soit accueillie sous les conditions suivantes : 1° Les Sieurs Legrand auront un compte ouvert au bureau des douanes de Clerfaÿt et devront faire représenter leurs laines à l’arrivée, comme au départ, aux chefs de la brigade de Liessies ». Tel fut donc le décor initial de la première grande opération qu’ait engagée Théophile Legrand pour entamer l’extension géographique de ses sites de production.

            D’autres implantations de peignages suivront, en 1838, et seront, elles aussi, sources de croissance. Or, au départ de cette grande aventure lainière, l’Avesnois n’a aucun atout qui permette à l’industrie de suivre d’emblée la pente du succès : les ressources naturelles font défaut, l’enclavement est notoire tant les axes de communication sont inexistants et l’éloignement des grands ports renchérit de façon excessive les approvisionnements. Il est donc légitime de rechercher les facteurs d’explication de cette prospérité du côté des acteurs du développement, c'est-à-dire du côté des manufacturiers d’exception dont Théophile Legrand était.

             Même si sa famille se trouvait mieux armée qu’aucune autre pour résister aux chocs économiques, on ne sera donc pas surpris que l’on puisse affirmer aujourd’hui que l’histoire personnelle de Théophile Legrand soit alors tout simplement une histoire de la réussite. Voilà une annonce riche d’enseignements qui vient éclairer un présent bien morose et un avenir qui reste à écrire et qu’on aimerait peindre aux couleurs de la réussite de notre capitaine d’industrie.

 Par Jean-Louis CHAPPAT -  Station Touristique du Val Joly – Samedi 5 octobre 2013

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